Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
/ / /
1.   

    Trop de mouches dans l’air à beuzzzzer “ nous, on vole! “, vantardes. J’ai, moi aussi, envie de me sentir pousser
des ailes. Pas précisément comme ces vulgaires bestioles renifleuses de déchets, à se claquer contre les vitres pour
décalquer des carreaux de soleil dans la contemplation de l’en dehors, non, pas ça, autre chose.
Le présent est arrivé avec le verso de l’arc-en-ciel; ainsi  flash-backe la saison brumeuse sans que le soleil ne salue. C’est
là, cul sur chaise en osier que je me positionne, dans cet appartement qui ne me ressemble pas, à gribouiller la quête
d’ailes perdues, à replumer l’oiseau chauve, à désacarreler la mouche après le coup de torchon puis peut-être à la libérer
de la vitre dans laquelle elle se tamponne, la tête en bélier mais défonce vaine, un bestiaire dans un aquarium sans eau.
    Un an, non ? Si, un an que je turbine, rature, sature, rembobine, récure et dénature, épure, ajoute, découpe, me
mire et me dégoûte, jette en pâture mes états d’âmes, sourires amers des souvenirs et larmes sûres sous masque en cire,
me désarmure et me désarme et fais le mur, mime à tort et m’immature sur la même vingtenaire armature d’insatiables
maux et mots, durs et maudits qui me reviennent en lettres, l’être un peu mou parce qu’un peu blette, immobile, se laisser
ruminer par un vers, un seul vers, un stylo.
Bordel: plus d’inspiration ! Question: où trouve-t-on dans sa tête le point final _ y en a qui savent et la plume
hibernatus, la loi de l’apesanteur, le destin absurde des pas dans le sable et la marée gloutonne.
     C’est l’histoire d’un gars qui est mort, une enfance fixée soudain. On ne peut pas rester un enfant. Il faut
grandir_  fallait lui dire, t’entends ? fallait lui dire _ avec ses poils de menton, perdre ses dents de jeunesse et laisser le
petit rat se faufiler sous l’oreiller, et peut-être en dessus pour t’appâter au gain comme le gruyère le tente dans les
cartoons que nous regardions, la fraternité avachie dans le canapé et barbouillée de nutella, les dimanches soirs où la
soupe nous appelait, nous rappelant combien nous préférions le goûter, les tartines et lécher les couteaux.
     Si t’avais pu rester un gnome, un petit boy imberbe ...  si t’avais pu rester à l’école ou au football _ dans leurs
circonstances encore ludiques ... si t’avais pu te fixer en bas âge, l’âge où les fillettes vous bisent la bouche sans le
malaise indélicat et petit des sentiments adultes, les mains courantes l’une vers l’autre à la recré _ dans des circonstances
encore ludiques... s’il avait pu ne pas se plier aux règles de la puberté, devenir doucement et douloureusement un
homme...
Et pourtant quoi ? C’est la nature, ce n’est pas dramatique “ arrange-toi avec ça”; ça: ce petit truc qui bouge dans toi,
indocile et tragique qui te pousse à l’intérieur, alien, qui vient, qui va comme “ça va “quand on te demande parce que ta
gueule est effroyable; ça: un raisin à consentir salopé, à admettre plus juteux et le jus, rien d’autre que les larmes
minuscules qui coulent à ton réveil comme les rêves d’un môme qui ne les a pas vu fuir, la pulpe qui fermente, style eau
de vie, concentré de tristesse qui goutte quand on se presse le cœur pour se rappeler combien c’était fou, fou et beau
avant la première pièce sous l’oreiller, quand nous n’exigions du pouvoir que celui de maîtriser nos playmobils_ c’était
peut-être déjà foutu.
Mais c’est la nature. Plus musclé, plus gros zizi, la voix plus méchante, tout ça on s’en fout. Devenir adulte, c’est être
tout ce qu’on crache quand on est gosse. Les épinards, les rognons, les champignons, tout ça on s’en fout...
        ...tu dois être sage...
        ...Tu dois être sage...

    Combien de gros mollards mon enfant a-t-il fait gicler sur cette sagesse marchande ? Je dois être sage, sage
comme une image ! Oh Oh ! Te voilà bien calme, mon frère, sur la cheminée du salon, encadré, la bouche fermée mais les
yeux bien bavards d’un portrait de Fayoum, déjà la lueur charognarde saisie par l’appareil qui, seul, t’a su fixé debout.
Qui l’aime et le regarde sait écouter le zombie dans les yeux:
“- Qu’est-ce que tu sais de la sagesse, animal veule et pourrissant ? T’as vu ta vie? Ta pauvre vie de trimeur, même plus
capable de cracher parce que
                    .............. ça-ne-se-fait-pas..............
 Où est-elle exactement ? Dans quelle partie de toi se cache-t-elle ? Dans ton charnier de ciboulot où tu empiles les
morts comme photos dans l’album,  l’oncle cœur fragile de s’être usé pour le luxe du numismate oisif, l’amie d’être
bouffée par la nuit par crainte du monde éclairé ? Dans ton cœur peut-être, où tu pointes des sourires comme des heures
de travail ? Dans tes doigts, tiges tremblantes et jaunies qui caressent ton confort comme tu touches le papier ? Quelle
sagesse à décompter les branches tombées d’un arbre qui, à défaut de revoir folâtrer fleurs et hirondelles s’admet, par
lâcheté, à chaque perte dont on tire du bois de cercueil, une nouvelle fois martyr de la pourriture, sans broncher ? “
    Y a bien que les morts ou les ivrognes pour balancer de telles sottises, la lucidité et la mémoire shakée dans la
douleur, la main posée et vaine sur l’amorphe mixeur en chêne, tout ça, et sur les feuilles du même arbre, comme une
gravure de premier amour avant de n’aimer plus jamais pareil, se donner l’impression d’y croire, je ne suis pas une
mouche, je ne suis pas une mouche, je suis un papillon, alléger sa conscience en écrivant le revêche comme le rêve de
l’enfant par peur que la saison brumeuse, feuilles tombantes à balayer en chanson, ne me décapite la tête à mon tour, en
image, et ne me laisse que le buste, le corps, l’outil, s’agitant nerveusement, tronc mal taillé, crayon mine fragile, un
instant, dressé au cœur de l’hécatombe, pénis brisé par la fin de la partouze, sol pleureur.
     C’est l’histoire, donc, du gars qui est mort. Un gars qu’on aime comme les vivants savent aimer les morts _
c’est trop tard; celle du gars qui n’a pas prévenu, promenade à pied:
“- Où il est parti ?
“- Faire un tour, je crois.
“- Un tour de quoi ?
“- Tu lui demanderas, il ne va pas tarder.
     ( ...mais je ne comprends pas le langage des tombes...)
“ - Y a du monde à l’église, il ne te dira rien du tout.
    ( ...de tout façon, je ne comprends pas le langage des tombes...)
“- Du beau monde, des gens émus...”
“- Il était si jeune.
“- Les gens meurent de plus en plus jeunes...
“- T’as pas d’autres conneries à débiter ?
“- C’est con que le curé bégaye...
“- Il était si jeune...
“- Si c’est pas triste tout ça...
    Il est mort. Il est mort. C’est pas triste, pourtant, pour lui. Pour nous, je ne dis pas, mais lui, c’est comme un
soulagement, il n’en pouvait plus. Et puis,  il est comme pas né, souvenirothèque en plus dans nos musées, retourné dans
le ventre de maman, dans les couilles de papa,  à qui ça doit faire très mal, mal comme la vue de l’original d’une œuvre
qu’on jette au feu, une œuvre avec un cœur qui bat et qui est belle comme un frère; retour à la graine de chou, retour en
terre.


2.


    “- Enterre ! Cisaille un peu la péritel qui relie ta main à l’histoire du gars qui est mort, coupe la paille, perce la
cartouche, bic pochtron; t’es donc incapable de trouver d’autres ressources? La douche froide et le petit café pour
chanter autre chose que les vieilles rengaines de Long John ?
    ... Oh, oh, oh ...
    ... et une bouteille de rhum...
    Et mes yeux, entre deux tropiques, dévorants à pleines dents p/affûtées les chrysanthèmes et vomissant, dans la
complaisance du manque, sentences d’ivrognes ou verdicts ad mortem, ne peut s’empêcher de mouiller comme les
nymphes de la petite nympho du boulevard Victor Hugo, vierge eternam parce qu’elle sait s’y prendre mes pupilles se
pendre, les soirs de pluie, aux lignes de Miller comme des noires des blanches sur une gamme_  négatif arc en ciel _dont
les mélodies fredonnent bas à l’oreille:
“ Il se peut que nous soyons victimes d’une fatalité, qu’il n’y ait pas d’espoir pour nous, pour aucun d’entre nous mais
s’il en est ainsi, poussons un ultime et effroyable cri d’agonie, un cri aigu de défi, un cri de guerre (...) Laissons les
morts enterrer les morts et nous autres, les vivants, allons danser au bord du gouffre une dernière danse agonisante,
mais une vraie danse.”
    Des soirs de pluie.
    Et des soirs tout court, je rêve et je vois mon frère et il marche d’abord sur moi, d’un flot funéraire, il est déjà
fantôme, prince de la lune vague puis sur la voie ferrée, serein, et il parle tout seul  _car il est seul_  mais sa voix perdue
et trémolotante  _opération du Saint-Esprit_ est reliée à un téléphone et ça sonne à mon oreille, c’est le bruit des cloches
du village où nous avons grandi: elles étaient en avance et nous réveillaient; toujours.
Je décroche entre sommeil et vie. Je n’aurai jamais du répondre
                    ... de toute façon, c’est trop tard ...
                    ... escroc d’opérateur...
                    ... communication coûteuse, soit-elle rêvée et ainsi soit-elle...   
“-perforé
“-tais-toi
“-déchiré
“-tais-toi
“-foutu hs
“-ta gueule
“-Combien de temps cela va durer
“-ta gueule je te dis
“-abimé au fond
“-je t’aime
“-encore plus au fond
“-t’en fais pas
“-malade
“-ça va s’arranger
“-blessé écœuré las
“-c’est une mauvaise passe
“-qu’est-ce qu’il me reste interné
“-ils vont te prendre en main
“-drogué
“-faut que je te laisse
“-ils n’ont pas prévu d’amélioration
“-je viendrai te voir bientôt
cut: interruption de la liaison, silence au bout de tous les fils, et la voie qui n’en finit pas de défiler sous lui, comme une
échelle horizontale qui ne l’élève pas encore:  
“- la correspondance pour l’ailleurs, s’il vous plaît ?
                ... Elle ne tardera pas ...
    Alors le fil du téléphone me ligote au lit où je rêve d’accident et le fil du téléphone grossit et s’allonge
serpentant tout mon corps à poil et j’ai la trique parce que je sens la Vie, mais elle  tombe, garce, quand je vois ce fil
tissé par une énorme araignée qui m’effleure, tendre parce que je sens la Vie, mais cruelle tant m’effraient ses  pattes
souillées par un sang qui n’est pas le mien et pourtant qui l’est tant, je rougis, et l’air absent des tox, mon frère répète au
vide:
“- La correspondance pour l’ailleurs, s’il vous plaît ? ”
Tout le monde sait.
Tout le monde sait.
Tout le monde sait.
     Personne ne répond, le silence lourd des gares est la seule ponte commune, il s’arrête sur la voie et se couche
_a-t-il crié quand _  mais il est déjà mort, celui dont c’est l’histoire et on crie noir quand l’ailleurs le broie, tchou, tchou,
et l’araignée devient un mauvais rêve, tire les ficelles des nuits blanches et veuves et me laisse funambule, hémorragie de
mots au flux haché sur le fil du rasoir.
On crie
Noir ou lumière
Lumière comme des projos braqués après l’impuissance des visages obscurs devant la scène, sur les spectateurs expulsés.
Et là, je me réveille. La vie m’a débarrassé de l’obsession, ou me l’a imbibé  _je ne serai plus jamais pareil_  mon cœur a
troqué ses battements lourdingues contre la fin d’un deuil mais l’écriture, c’est autre chose...
                la nuit, c’est autre chose...
        Cette impression en griffonnant d’avoir une brouette au bout des bras et le cadavre dedans qui émet,
nonchalance des spectres, des clameurs disharmonieuses et sifflantes, hululements.
“ c’est un sexe malade qui menstrue des nuages / Qui nous accouche, nous couve entre ses poils gratte-ciel / C’est un
sexe qu’on triture sans désir et sans rage / mais comme un gigolo, il faut bien que l’on bêle / pour satisfaire l’ego de ce
gouffre gourmand.
“ Simule l’orgasme de tes cordes vocales / Ou il ne viendra plus susceptible comme il est / Et s’il ne vient plus, on te
saoule, seul, sale; avale ! / On maudit cette joie ressentie à l’vexer / Et on crève comme une chienne, comme une pute
sans client.
Et le vampire se recouche, ses canines rétrécissent.
    La vie, le jour, silhouettes regardées, en contact, en mouvements adaptés à la vitesse du rien, en reflet permanent
dans les yeux diurnes, plus de brouette qui supporte le poids d’un macchabée lourd comme les doigts masturbateurs sur
la trique _ je suis en vie _ autant que sur le papier _ la vie du mort.
             ...et le verdict inquisiteur des petites bêtes dont je cauchemarde. S’avouer avoir penser devant
le mort faire honneur au sacrifice et se retrouver l’échine tordue et la vie fade comme une première gorgée de bière sans
mousse ; s’imaginer voir le refus comme l’acte d’un kamikaze pour la cause du petit frère encore vivant, troquer le
narcissisme égoïste d’un suicide contre la générosité contre la générosité absurde du martyr et s’apercevoir qu’on joue,
comme le voisin le même roseau de la fable qui perdure en se courbant sous mille sortes de vent, sans identité ailleurs
que sur le papier, autrement dit aucune, puisque la vie, c’est autre chose.
Tout oublié, l’espoir du gosse de se dévergonder, de renaître des cendres, partir, fuir, s’enfuir, flâner, se barrer, se tirer,
se tailler, errer, se balader, vagabonder, s’envoler, simplement aller, et....
                 .... vivre “le temps de quitter ce monde dégueulasse et pourri”...
                ... ne plus être là, ce n’est pas encore être ailleurs, mais...
    Mais ne pas mourir surtout dans le format standard, ressusciter peut-être le clochard céleste, m’offrir le cosmos
en diadème, réapprendre le goût des aisselles suintantes en substitution du déo pour chiottes, n’avoir pour l’argent que le
contentement d’être sauf et pour le reste, tout le reste, ce qu’il fait bon, ce qu’il fait mauvais, le bonheur d’être érectif, le
plaisir en excès ou. Ou le désir du plaisir et ce dernier comme un ténia qui serait dans toi et qui te chatouillerait un peu
partout à l’intérieur pour te faire rire et te faire admettre que même les vers si répugnants soient-ils te doivent le beau
tatouage en  traits de sourire.
    Dans la rue, il n’est pas de démarche légère; il est des corps à porter dans un décor apporté. Quant aux
clochards célestes, ils quittent le navire avec des chaloupes trouées et déménagent presto dans les bouteilles qu’ils ont
jetés à la mer, leurs étoiles sont le merdoc, la picratte à deux balles, la chimie leur promet des extases divins, leurs chiens
bouffent la gerbe et grognent. Et ils étaient des enfants.
Nous avons nos petits rêves puissants qu’on sème en bord de route comme les petits poucets. Attend-on de se savoir
égaré pour les glaner dans l’autre sens ?  Mais tous les décors sont tellement familiers... Est-on déjà mort quand se sait
perdu?


3.   
 
     On va tout réécrire mais c’est toujours la même histoire, la même odeur délicieuse d’éphémère, la même odeur
répugnante d’éphémère, la même mémoire à disséquer, consumée sans que les souvenirs ne s’enflamment. Des lieux
communs: fermer les yeux et se revoir naître, avec plus ou moins de chance, expulsé comme un mauvais sujet, découverte
de la première personne, le verbe être, ça y est: je suis;  je suis né dans ce parfum, emmitouflé déjà dans un drap de
prospectus, la vie, la vraie et sur des notes bizarres, ai été comme mort puis profané.
    D’abord serpent, ébats dans la mer d’eau et de sang, la source maternelle, puis qui rampe, puis des pattes de
reptile me sont poussées avec des doigts et je sens que ça pousse encore, ça fait mal et j’ai froid, où suis-je?
tout moi dans le miroir, c’était à quel âge ?
avant ou après
avoir une bouche, se l’apprendre et son sexe, joies de l’autotripotage et les yeux: entrez, faites comme chez vous, vous
êtes là  depuis longtemps ? Maman, maman, reste là, me laisse pas, on pleure tous le premier jour ?
- Regarde ton frère, mon chéri, est-ce qu’il pleure, ton frère ?
Je me souviens de moi dans une horloge, vainement désirée malléable, au dessus de ma tête, mon torticolis, une photo de
Doisneau; c’était un peu moi, l’objet
                    ... moi, les autres, les autres, moi...
                    ... le mystère de l’indéfini...
    On m’a dit:
- Voilà la route, petit homme, marche !
- Où mène-t-elle ?
- Nulle part !
- Nulle part ? Je veux pas aller là-bas, moi.
- Ta gueule, choisis ton métier et ramasse tout ce qui brille ! 
( je vais sécher je vais sécher je vais sécher ) Je me souviens des dictées vachement difficiles et de l’institutrice qui nous
tirait les cheveux ou les oreilles quand nous les avions longues comme des cheveux, hi-han, de son parfum puant, de son
bégaiement appuyé pour la cause de l’orthographe et des points, bons ou mauvais, qu’elle dispatchait dans la salle mais
toujours aux mêmes lèche-cul.
    Et le didactisme, le chemin à suivre, le butin à récolter, le livre à l’intérieur des gens, encombré de désillusion
carnavalesque, maquillé d’un même arrivisme commun et martelé, un bouquin tiré à des milliards d’exemplaires, gravé
comme MP3, compacte et imperceptible, plus lucratif que la bible et que tout autre livre de recettes d’horizons divers, la
cuisine indigeste mondialisée.
.       Je me réveille en sueur; toujours le même rêve: mon frère s’arrête sur la voie et se couche; les prospectus dans
lesquels lui marchait, s’étaient envolés depuis longtemps, j’ai froid, il avait soufflé dessus et tous étaient devenus des
oiseaux agressifs comme dans le film d’Hitchcock, ils le griffaient.
“- Comment fais-tu, mon frère, pour ne pas saigner ?
“- Mais je saigne, à l’intérieur.
“- Moi aussi. du coulis de limace, elles arrivent, rapide comme une limace sait l’être, dans mon regard. Un reflet de coin
de route onde dans un coin de tête. Insouciantes, elles poursuivent leur randonnée sous le cœur des voitures en évitant le
rétrovisé, ne pas voir le sang de leur famille gicler sous le caoutchouc qui bondit, avoir cette capacité à sa borner au “au
bout de la route”, à sa petite limace de chemin.
    Je me revois crier puis butiner les bouts de brillance déchiquetée par le train; et les fragments de mémoire. J’ai
saisi sa tête, sa bouche ne parlait plus mais il parlait encore:
“- Regarde, regarde: des mouvements en perte, et la hâte qui nous brûle, des mines terrifiantes et bombées par les
rayons gras et gros d’un soleil fatalement lacrymaux, et les visages en nage, les faces grimaces en écho, et “ramasse
ce qui brille”, tandis que l’œil violé et extra violé par le reflet de ces miroirs sans teint fabrique des larmes amers dans
lesquels tu te noies, ou plonges, abysses ténébreuses où la lumière n’est plus que le souvenir blafard d’un monde
plaqué-or, où l’on joue en coulisses le spectacles des ombres avant d’aller se perdre dans la désillusion; paysage fini
où se meurent à l’infini figurants, où planent, de mauvaise augure, des corbeaux charognards qui dessinent dans le
gris de funestes esquisses et qui peignent leurs motifs de nos sangs à couler.”
    Là. Là, non.
    Je ne rêve plus. J’entends des voix, c’est toi ? parle-moi encore, c’est toi ? non, ce n’est pas ta voix, qui est-ce,
ce n’est personne, ça ne peut-être que toi, pourtant, nous sommes seuls, j’ai ta tête dans la main comme un ballon de
basket, personne d’autre que ta tête et la mienne, mes yeux dans tes yeux, et les tiens au delà, mais t’es mort, alors qui
dit ça, qui parle, c’est peut-être à l’intérieur que ça se passe, un lutin aurait trouvé une petite place entre deux souvenirs;
les souvenirs, c’est actif, les plaques de tombes, c’est fixe; les photos, c’est fixe;  mais...
                                ... les souvenirs...
                                ... ils bougent, ils circulent, c’est du sang, des
battements de cœur, la danse des cellules d’où ils creusent un tunnel, qu’est-ce que je dis, moi, hein ? qu’est ce que je
dis ? je déraille, ça aussi, c’est marrant, non ? dérailler, il n’y a que moi qui déraille, les trains ne déraillent plus ou
rarement mais jamais pour éviter de broyer les errants, somnambules sur la voies, oui, je deviens fou.
- Vrai ?  chuchote l’objet halluciné, statufié dans son riréél fantôme, lutin famélique de papier, teint comme neige et la
tâche rouge des lèvres; et ma bouche bulle, fait bouillir de l’eau qu’elle bave, venin de crapaud, devant l’éclat
d’intemporel, de sensualité et de mystère. Je dis:
- Qu’est-ce que tu fais dans ma tête ?
Il dit :
- C’est douillé. Je suis là depuis longtemps. Je dors. Parfois, je te parle mais tu ne me m’écoutes pas. J’existe. J’existe.
J’existe. Parfois, tu m’entends même si tu ne m’écoutes pas. Je te dis je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime je
t’aime je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime    je t’aime  je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime
je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime je t’aime  je t’aime je t’aime je t’aime je
t’aime
Je dis:
- Tant que ça ?
Il dit:
- Plus encore.
- Quelqu’un qui m’aime de la sorte, c’est malheureux qu’il soit dans ma tête.
L’animal me dédrape, me dépeause, me découvre à son œuvre, pyrogravée de l’intérieur, mon corps devenu le manuscrit
d’un alien, à faire réfléchir, lâche-moi, lâche-moi, c’est trop tard, je suis encerclé, ma carcasse barbelée de baisers
combustibles, ça brûle, je brûle, qu’écris-tu encore ? le cocktail bizarroïde d’angoisse, de curiosité affamée, de désir
bégueule et froussard et la queue du puceau en réveil délicieux, à mille pieds de la médiocre bandaison conjugale _
retirer le slip kangourou et avaler un orgasme de plus comme le pain quotidien, non _ la fragile, l’immédiate,
l’enchanteresse, à la fois gênante et chaleureuse, poétique.
- je viens t’apprendre à battre du cœur.
Et le lutin s’expulse,  met sa langue dans ma bouche et c’est un baiser étrange, je l’ai partout sous moi, ne cessant de
ressentir jusqu’au bout du vide la moindre caresse de la flamme dans le ventre et dans le dos, sur la gueule, mon cœur se
met jouer vite, puis s’arrête net, en veille, et reprend, tic tac tic tac tic tac tic tac
- Arrête ça, arrête ça tout de suite !
Je me suis retiré, reculé de trois pas et le bruit des horloges s’est éteint à l’intérieur et j’ai entendu la mer, les vagues, le
vent, tout ça, ça chante, et la main du lutin vient se poser sur mon torse, mon téton dépasse, dressé entre l’index et le
majeur, je jouis, ça explose, les paupières closes, je vois dans le noir un radeau qui flotte, c’est le brouillard et la nuit; en
figure de proue, le buste de mon frère qui, la bouche ouverte, avale, vague après vagues, d’énormes poissons de toutes les
couleurs, je ne comprends pas et je crie.   
    Oui, je crie.
    Je crie quand l’horloge tactique me dévoluptise et concrétise l’image, enterre dans un fantasme ma nuit
enciellée, où est-il, qui est-il, je crois une bille de feu, sensible comme clitoris, il s’est endormi dans un creux, un volcan
de peau et tout est fini lorsque mes pieds, peu importent l’ordre dans lequel ils s’aparquètent, touchent le sol terrible, et
me font retomber de l’état incompréhensible de grâce, atterrir après avoir cru en vain que je flottais tel un fakir en
lévitation, gobant une étoile filante qui le balance, astral et chancelant, enfant sur l’arbre mort, comptines de petits
princes burinées sur mon corps vieilli.   


4.

    C’est le jour, somnambules, funambules et lutins sont carnavalés. Ils te tiraillent un peu dans l’antre mais tu
mets ça sur le compte de l’alcool et du foie pourri.  Tu te révèle au matin l’esclave et le produit de ton temps, devoirs et
concessions, besoins tyranniques des évasions plastiques, se lever, panoramique sur mon univers, ma chambrée où
s’éparpillent les placebo de l’impuissance, le gémissement l’aiguille du réveil, l’odeur des écumes de transpiration et de
transe nocturnes qui émanent de ma couche _ ce n’était qu’un rêve ?_  et de mes rêves où on a rejoué comme les replay
des parties de football les actions manquées, les coups francs et les fautes des veilles, le parfum d’un fond de verre où je
me suis coulé, hier, ce hier trop présent pour que la virginité du nouveau jour ne soit pas illusoire?
    Une heure moins dix. Mon crayon semble plus rapide que le temps, il le poursuit et le rattrapera, lionceau
chassant une antilope, dans des circonstances encore ludique, je n’ai pas faim, il ne la mangera pas, juste tuer le temps,
c’est pourtant beau une antilope, pour nous plus que pour un lionceau.
    Se changer les idées, marche, ramasse, amasse, un pas, deux pas, trois pas,  et quatre et cinq et six et sept, et les
billets font des liasses, et les liasses se déplacent, ça brille fort et parfois, ça brûle alors, ouille, on fait une passe et...
                      ... ça finit toujours dans les mêmes poignes de fer qui comptent, de doigt crochus
nos pas rapprochés, nos pompes à leurs pieds chefs dont les pouces se tournent comme se tourne la molette de leur gros
coffres forts à leurs poches accrochés.
- Imbécile.
- Et quoi ? Il faut que je vive. ( Quand je travaille, je suis serveur dont le salaire mensuel égale le chiffre d’affaires
quotidien. Compter les billets chaque soirs et être acteur passif de l’entourloupe. )
- Imbécile.
- Tais-toi.
    Les psychothérapies m’expliqueront peut-être pourquoi il y a un lutin quelque part qui me taquine et m’insulte,
me chatouille et me pique, non ?
Non.
Alors...
Alors, même si la nuit s’amène, ce n’est qu’une louve, méfiante et féroce, surtout méfiante, qui guète sa proie par une
lune méliesienne et laisse au crépuscule le soin de faire le tri, prends-moi ! Prends-moi ! Mais elle piétine, sans bruit et
j’en oublie sa patte imminente à mon collet.
“- Qu’est-ce que je vous sers, monsieur ? demande le soleil couchant.
“- Je voudrais la nuit.
“- Nous n’avons pas encore été livré.
“- Dans ce cas, donnez-moi la carte... Vous avez une carte, genre carte du monde, vous voyez, parce que ça pue.
“- Non, répond-il avec son plateau où se dresse des immeubles entamés. Mais j’ai autre chose.
“- Qu’est-ce ?
“-Whisky!
“- Et bien, laisse donc la bouteille.
    Et je voyage, mon petit louveteau, en avance sur sa maman dont on sent la présence de plus en plus intense, est
déjà là, il me regarde. Ca y est le crépuscule a fait tomber son plateau et les immeubles se couchent, leur mousse dorée
crépite un instant sur le béton noirci comme la neige qui disparaît sous l’eau chaude, ça y est il-elle sont là, ensemble, la
louve et son lutin de louveteau, mais je m’en moque, je suis déjà ailleurs, j’ai déjà oublié la mue, la bouche humide, l’or
qui dégouline, je suis ailleurs et tellement là pourtant. Oublié, le combat contre les moulins, le shoot de ce putain de
vent, le shoot à ce putain de vent, leurs griffes comme des seringues sur leurs pointes qui t’injectent encore un peu de
nectar libertaire: tu respires pour te battre, bordel!
Le lutin dit:
“- Je croyais que tu aimais l’air, l’air qui te gonfle les poumons quand il entre, fatalement, nécessairement, qui les
dégonfle et dont je sens la tendresse quand il sort en caresse le long d’une de mes joues.
“- Vrai.
Et l’alcool devient triste, la queue tombe et c’est le vomi qui dégouline. Mais j’ai voyagé, tellement loin que... je n’ai
plus envie de partir. Je reste là, la la la, flotte dans le verre.
“- C’est ça, je ne me saoule pas, je fuis, je hurle à la lune l’ivresse salvatrice, la ville contorsionniste met bas et je me
débats, débile et délirant. Plus rien d’autre que la rage et moi. L’alentours est tellement dégueulbiffe. La rage. Cracher
sur le fanion d’un camion de police comme dans le sang d’un ciel paisible. Ne mets plus d’eau dans ton vin !
                ... et je bois l’éternelle jeunesse dans un verre à vodka...
“- Qu’est-ce qu’il fait-là, celui-là ? Regardez-moi danser, cognes, dans ce monde qui m’appartient !
“- Envoyez-le dormir, votre ami, sinon, on lui trouve un lit et ça se passera
                                ... autrement...
“- Et quoi ? Je suis ivre et je danse ! “ Laissons les morts enterrer les morts” , lâche-moi, ami ! S’ils veulent
m’embarquer, qu’ils m’embarquent, je suis heureux d’être hors-la-loi idiote qui frappe les apatrides et de me branler la
case à insultes en éjaculant sur les représentants d’un ordre que je conchie !
    Plus rien d’autre que la rage et moi. L’alentours est un décor dégueulbiffe percé par de rares lueurs...
    ...de grâce_  la musique
    ... de grâce, épargne-moi de la rechute, laisse-nous, ma rage et moi et mes larmes et mon sang et mes valsants
délires ! des visages connus, je t’aime, mais je te vois tout le temps, tu es ma vie, et je veux t’oublier un moment; dansons
! l’un contre l’autre, mais je ne suis plus là ; des visages inconnus:
“- Pourquoi tu pleures, gamin ?
C’est le face sculptée par une similaire ivresse , moins ostentatoire ou plus lasse d’un romanès qui sourit.
“- Pourquoi je pleure, vieil homme ? Parce que ta musique m’envoie caresser la mort, parce que ta musique envoie la
mort me caresser.
        ... l’ivresse sait perdre ses sujets...
        ... mais je ne suis pas sûr...
        ... il fallait que ça coule, que tout coule, le sang l’alcool les larmes le sperme les bateaux et la musique
qui me suspend un peu avant d’appuyer sur ma tête et que ça bulle le silence et l’inertie.
    C’est à ce moment là que mon corps tombe de sa chaise mais le lutin est resté en suspens, au dessus du verre, la
nuit essaie tant bien que mal de relever le corps étalé comme de la viande en terrasse et les gens ricanent et le lutin a
envie de cracher sur eux mais il ne peut pas car le corps ne peut faire couler que du vomi trop lourd pour l’expulser plus
loin que directement par terre ou sur lui. Enfin, la nuit redresse le corps et le soleil, des vestiaires où il enfile son
pantalon lui dit:
“- Tu devrais pas t’emmerder avec ce bout de gras, il a toujours traîné par terre, il n’en décollera pas.
    Et le jour sort des vestiaires.
    Et la nuit finit son service, enlève la lune qui lui sert de noeud-pap.
“- Je ne sers plus monsieur.
Le lutin: “tu ne peux pas le serrer non plus ? Dans tes petites ailes noires ? Il n’espère maintenant rien d’autre que ça,
uniquement que tu lui apportes un peu de ce que tu as d’humain sur ton plateau !”    
Mais quand la nuit s’est ramené avec cette commande en terrasse, l’aube l’a fait trébuché et tout est de nouveau à terre.
“-On ne sert pas l’humanité sur commande.
                ... mais le whisky, si...
Le relai s’effectue et la nuit vient encaisser, addition terrible.
“-Vous auriez une carte, genre carte bancaire parce que (“..un et un, deux, deux et deux font quatre, et quatre et quatre,
qu’est-ce qu’ils font ?”... ) 60 euros?
“- J’ai pas tant bu que ça !
“- Ce n’est pas moi qui fixe les prix mais s’il faut les augmenter encore pour que ma paye augmente, j’accepterai sans
rechigner car statistiquement, ce sont les miettes patronales qui brillent et pour lesquelles on se courbe le plus.
    ( faites-moi mal, monseigneur, encore, encore, que ma volkswagen ait été méritée)
    Le lutin est monté sur la table et a parlé aux clients qui n’entendaient rien et ne le voyait pas _ puisque c’est
mon lutin:
“- Ce que je ne comprends pas dans ce bas-monde, c’est que tout le monde se complaît dans sa vie misérable. La vie
pourrait être si légère, mignonne et folle sans ce tout, ce tout mis en place pour que ça pèse, ce tout qui engraisse la
vivresse de charges superflues, le tout qui dit: “ toi, tu seras un âne et tu marcheras derrière moi et moi, qui marcherai
devant, je ne te regarderai jamais plier, jamais t’écrouler, jamais mourir, jamais broyé par les trains, je marcherai,
tranquille, je rirai, je regarderai le paysage tandis que toi, tu seras content en imaginant l’avoine que je te donnerai.” Je
ne comprends qu’un âne mort étant un âne racheté, nous acceptions de faire nos premiers pas dans le sang des aïeux _
ton frère_  et de baisser la tête pour des néo amens.
“- Mais quelle est alternative ?
“- L’alternative ?
“- Oui: quelle vocation à monter une rébellion avec des rêves d’enfants ? Quelle vocation à faire du revêche avec de
vieux ânes contents ? Quelle vocation à les éclabousser avec le sang de mon frère et des leurs, à leur montrer que le
monde fait se jeter des fous, des grands fous, des fous grands sous les trains, que la vie leur exige un idéal de beauté si
intense et absurde que seule sa négation totale les délivre et les comble? Quelle vocation à monter sur une table de
bistrot pour crier “ Anes de tous les pays, unissez-vous ?
“- Je ne sais pas, a dit le lutin.
    Je tombe dans ses bras comme ceux de papa quand il m’a annoncé que. Mon lutin me caresse la crinière, pauvre
corps saoul, si pitoyable et virevolte, oiseau blessé cloué au sol qui se convainc qu’il peut, qu’il peut passer sa tête au
dessus d’un nuage, faire un clin d’œil au mort et redescendre indemne !
   
Et le lendemain, saluer les amis, dire bonjour, bien dormi ? quelle soirée... mais raconte-moi un peu...
“- T’as fais le zouave.
“- Tu es gentille, amie...ne me parle pas des larmes, elles sont encore dessous mes yeux, et elles chatouillent, “ brillantes
comme des armes”
Et le lendemain, saluer les amis, dire bonjour, bien dormi ? quelle soirée... mais raconte-moi un peu...
“-On t’a presque pas vu. T’en avais rien à foutre de nous. Un sale égoïste.
                    ouais.
                    il n’y avait que.
                    Moi.
                    quoi te dire?
                    moi et mon égoïsme.
                    tombé là par hasard,
                    comme le jus qui dégouline quand
                    on coupe deux moitié
                    d’un même fruit
                    que l’une va à l’humus   
                    que l’autre n’a plus qu’à pourrir
                    car
                    je ferai gerber le mangeur
                    ou car
                    personne n’a faim
                    J’ai aimé cette soirée malgré l’oubli du demain, je l’ai peut-être aimé pour
ça, il ne restait au réveil que le flou et le flou et le flou + l’impression d’avoir posé mes doigts sur tes joues, grand-frère,
et de bander pour la vie en sentant les larmes caresser les miennes, de m’être envolé au pays des cadavres, oh oh oh oh,
d’y vider mes verres dans ta bouche.     ... redescendre pour voir lucide le malaise alentour,
    ... nous, nous vivons
    ... vie sombre sur laquelle cracher le bois de sa gueule, et enflammer, et éclairer,
“- Eclairer quoi ?
    ... sa triste mine qui s’enflamme elle-même, sombre comme la ville,
“-Eclairer quoi ?
    ... le corps encore ivre de l’eau de vie pompée dans ton sexe, lutin, l’esprit déjà sobre et chiant qui sculpte en
papier des narcisses larmoyants, des pathétiques reflets.
    ... nous, nous vivons
    ... voilà, tomber là par hasard pour s’entomber plus tard
    ... sois léger et vole !


5.


    “- On va partir avant de se mortifier, non? d’être embaumé de contentement? Rêvons un peu, demain sera
beau, nous puisons dans les flots de quoi vivre, nous mangeons et nos mains et nos langues, nous trouvons dans nos
yeux des idylles obscènes, saupoudrées de démence, on fait du contemporain, conjugué au printemps, le présent d’hier
est passé saint, ça nous faisait les dents, et le nouvel instant, goûtu comme du croco et demain sera beau  et on s’en
fout, sans contre-fou, le miel fondant dans mes dentelles brûlantes, nos coeurs aux jambes écartées pour nous laisser
aller et venir. Regarde ! L’horizon arrive.
“- Et alors ?
“- Alors, frappe, frappe un nuage du poing, s’envoler. C’est comme un car qui viendrait de nulle part et s’en irait
ailleurs, coulant avec la route.
    J’existe.
    J’existe.
    La vie est une pute, une pute de luxe. Elle se vend trop chère, je connais même pas la couleur des biftons; non,
je ne suis pas biftonné, je m’en vais donc la séduire pour qu’elle s’offre gratos, la faire rire, sur elle-même, sur sa futilité,
la faire pleurer, sur elle-même, sur sa sévérité, te venger, petit prince. Elle se fouttra à poil, c’est la merde qui l’habille et
je la rhabillerai. Non.
    Non, je ne la rhabillerai pas, je la caresserai, sensuellement. Je m’en vais la baiser, la si belle créature, elle jouit
si rarement et je bande tellement dur, quand je la sens, là, contre moi.
    Aujourd’hui, l’horizon m’a traversé sans ralentir, renversant l’aphone j’existe, plaquant mon regard sur le
bitume humide et gris, comme écrasé par le ciel d’une teinte similaire. J’existe (?). La petite voix, tremblante, suspendue;
la démarche fragile, suspendue, mon lutin est le seul corps en mouvement dans cette nature docile, sans obstacle. Tout
est bien rangé au pays, carré, horizontal. Seule l’électricté sait prendre de la hauteur_ et les oiseaux, mais il n’en reste
qu’un peu _ et découpe en partition muette le toit monochrome du domaine au soleil pudique.
    Il est là, pourtant, quelque part, le soleil, puisqu’il fait jour et pourquoi te caches-tu ? donnes moi de la
flamboyance, rouge, orange, jaune, est-ce trop demandé un peu de couleurs, que diable, des couleurs ?
Non, il nous offre un coucher discret. C’est son heure. Il fermera la lumière en rentrant et s’endormira, rêvera peut-être
d’une vie qui continue sans lui avec une lune et des étoiles et des gens, des gens qui dorment et baisent et boivent et
meurent et dansent et rient et pleurent et meurent et accouchent et peut-être avec un Petit Homme, pas encore blette, déjà
plus enfant qui fait ses derniers pas dans l’obscurité avant d’être avalé par les rayons d’une télé, réalité de plastique,
barbies et barbarismes cathodiques, provoc’ pieuse et barbaresques peu catholiques. 
Le vrai, celui qu’on peine à regarder de face ne rêve pas, il n’est même pas endormi puisqu’il brille ailleurs, lui. La nuit,
l’insomnie le prend en grippe, alors il roule, tourne, roule, tourne, et roule encore_ enfin, c’est ce qu’il croit puisque tout
se meut alentours _ mais jamais ne parvient à fermer l’oeil. 


    J’entre chez moi, la télé braille et paf :
“-Je m’en vais. Je veux comprendre le langage des tombes.
“- Qu’est-ce que c’est que ces conneries ?
“-  Bah oui, je me casse, j’en ai marre, je sais pas.
“ - Mais qu’est-ce que tu vas faire ? Où vas-tu dormir ? (la rationnalité maternelle)
“- Sous les ponts.
“- Tu dis ça pour nous faire mal?
“-Ca pue la mort, ici, et j’aime pas le vide dont ma tête est auréolée et j’aime à croire que les morts dessinent dans les
étoiles des voies lactées pour les vivants olé olé, et ça pue la mort, ici.
Mon père a plongé sa tête dans la soupe, a bombardé les mouches d’éclats d’oignons, a déformé un instant nos gueules
nécrophiles, ça sent le clown triste, c’est bien essayé, pa! mais des esquisses de nos sourires honnètes, est revenu illico
le funeste.
    Je veux maîtriser un peu mes tripes, ouais, nous serons heureux et on fera l’amour dans les hautes herbes, on
prendra la clef des champs et on fermera derrière nous et on deviendra fou, on ne sera jamais de vrais gens, on regardera
Zara dans les yeux et nous nous baptiserons fils de fleur avec l’eau du ruisseau, on ne sera jamais comme eux, fripés et
friqués et étriqués dans leur maison nickel, l’ennui mal baisé qui erre dans le silence que seul Mozart qui s’y emmerde et
le gros gras chat soyeux quand il a la dalle, brisent de temps en temps.  Et si, avant de partir, nous allions les trouver,
lutin ? chiche ? Qu’ils hurlent, j’aurai le goulot d’une bouteille de vodka , de la bonne style herbe de bison pour se sentir
indien avant qu’on ne prenne mon terrain de jeu enfant où mon sourire crépite pour un nouveau monde décrépit, je
l’aurai dans la bouche, le goulot et je leur cracherai l’ivresse dans la leur, du Chopin. Ils ne se seront jamais senti aussi
désirer, alors ils se plieront à ce jeu violent, résisteront, me grifferont mais finiront par se laisser possèder, non par moi,
mais par l’idée de ce désir qui les dépasse, l’effraction du conditionnement, et ils nous regarderont, frémissants, fuir
dans un cercueil ouvert avec le ruisseau, et on vieillira pas parce qu’on sniffera la lune à la paille et je serai une poupée
dans tes bras, un trésor, tu lui chanteras des comptines sans chasseur, et notre teint, il restera jeune et frais grâce à ça,
fratrie nomade et amoureuse, tu vois, je ne suis plus de ce monde, mais mon coeur bat...Loin, le temps où lutin sévère:
Regarde-toi, petit homme !
lutin apitoyé: Les yeux si caves, le teint si pâle
lutin moqueur: on dirait une statue!
    Loin, le temps où mon coeur, selon toi, ne battait pas, mais hoquetait, mécanisait, rayé. Je me souviens encore,
la musique d’un coeur, c’est pas ça, tu disais, ça n’a rien à voir, c’est un violon qui vient de nulle part et qui coule vers
l’ailleurs avec l’archer qui fait le pont et les caresses le mouvements, alors doucement, tu disais, les yeux bandés, pour
voir ce qui a priori n’est pas, le désir véhicule des gémissements de vierge, jeu érotique, y a-t-il un couteau sous la
main ? Quelque chose survole ma peau comme une abeille une fleur et je sens que ça tranche, que ça pique,
touche-moi, touche-moi, alors peut-être l’imagination perverse créérait cette scène où la lame, l’hypothétique l’âme se
glisserait sous la peau à la manière d’une tique, et me déshabillerai et je verrai alors comment à l’intérieur, ça
déborde, ce qu’il y a là, sous moi, derrière la science, l’anatomie, la biologie, il y a des peut-être, ça je ne comprenais
pas, peut-être des insectes noirs au nom don se fout, des insectes vénimeux qui trimbalent leur poids de saleté et qui
laissent s’écouler, clepsydre ou tube de ketchup percé, le liquide sur mon coeur, tu brûles que tu disais à la fin. Loin, ce
temps-là. 
    Nous avons dormi cette nuit dans un cimetière.
    Nous avons baisé, et j’ai dit au lutin que, de toute façon, depuis l’incident, je n’avais toujours fait l’amour que
sur des sépultures, façon de parler. En effleurant la peau, penser et frissoner, vivant, vivante, vivants, vivantes, le
sophisme simpliste dans ma petite cervelle: tu es belle, beau, or tu es en vie, donc la vie est belle. Un truc. Je n’ai jamais
eu plus envie de quiconque que sous, sur, dans le mort en couverture. Demain, une mauvaise pulsion peut-être nous
viderait vite fait l’assiette dans laquelle on serait mal, mais on ne peut pas se désirer sur un drap de prospectus. La main
sur l’hérogène:
“- je suis un artiste qui peint sur une toile déjà entamé et chaque couleur que j’ajoute à l’oeuvre d’art qu’est ton corps
reste sur toi et ne se gomme pas,
j’ai dit:
“ - je suis une toile déjà entamée et chaque couleur que tu ajoutes à l’oeuvre d’art qu’est mon corps reste sur moi et ne se
gomme pas.
   
    Les psychothérapies
    tais-toi
    m’expliqueraient
    tais-toi je te dis
    peut-être
    ta gueule
    pourquoi ...
    ... il y a dans ma tête de l’excès d’idées folles, et me recommanderaient sûrement de délaver un peu tes palettes.
Jamais pourtant ce conditionnel ci  ne me rassurerait, fado ou flamenco, dans mon dégoût: les lettres s’embourgeoisent et
ça me déglingue, où est le saltimbanque, le vagabond, celui dont le sourire lui fait pousser les crocs et le tire sous tous
les traits du visage des mondes
    où est le vilain petit canard à plume noires, canardé, chargé à bloc de mots légers, chargé blanc comme pet mais
toujours un peu noir, où est le rouge de ces paumettes quand les lutins faisaient sa fête, la tête ovale, dure et gonflée de
milles voyages en ballon, la tête haute, la langue en sentinelle qui avale cigales et sauterelles pour se donner du ressort,
avale les grillons, griller feu vert espoir, feu rouge passion encore en corps, signalétique du pyromane, tout dépasser,
    où est la joie du dépassement, qui a barbelé sa carcasse, mis sous son casque des limaces qui enlacent
jusqu’étouffer les petites pulsions d’aventure, bouffer bouffer bouffer comme de voraces virus dans le disque dur idées
filantes à ingérer digérer gérer gerber
    où sont les pisseurs des bords de route avac les lalala lala lalala lala laaa de leurs petites petites voix lactées,
    où sont flop flip flip flop le joli son des pieds sur flaques quand le chemin est fait de lait
    Je suis.
    Ecrire sur la pluie et les mots s’écrasent
    disparaissent
    oh oh oh
    fossilisés dans l’absence
    Ecrire sur les larmes qui sèchent
    Ecrire sur le rire qui s’endiable
    Au sommet de la vague
    Sur le sperme qui engrosse
    Au sommet de la vague
    Ca éclaboussera la rive alors les squelettes des mots, comme la pluie d’un nuage hypophysaire, jailliront et
l’enfant qui patoge dans le petit bain se fera baptisé, recevra de cette eau dans les yeux et dira: ça pique.
Puis: Je veux rester un enfant, un enfant qui dit je veux, qui dit je ne veux pas, je veux rester un enfant et faire des
caprices, maman, maman, maman, zou maman, emmène-moi au zoo, voir les z’animaux en cage. Je veux sucer ton sein et
apoir peur du loup, du dahu, du noir, des araignées et du noir et lire un conte que ne comprends pas et me coller à toi,
mon frère, quand mes yeux ne se ferment pas, et ensemble, compter un deux trois, compter les serpents avant de ne pas
se laisser endormir.
- Ta mère n’est plus là non plus, enfant !
- Où est-elle ?
- Au centre commercial mais ne t’inquiète pas, le chemin est bien balisé. Vas, dorothy, vas ! Suis les petits traits sur la
route, comme les ciseaux sur les bons d’abonnement, tes bons pas sur les lignes d’abonnichement !
Ils peignent les balises à la peinture blanche, c’est avec cette peinture que mon lutin s’est coloré, caméléon pierrot le fou,
il se frotte la tête par terre comme les indiens pour savoir si diligence arrive.
C’est l’histoire d’un gars qui explose.

                    Sauf la nuit, quand tout s’éteint,
                    je me blottis contre toi, grand frère,
                    je crois que tu dors mais en fait, t’es mort.

Partager cette page
Repost0